SIBCA 2025 - Décarbonation et résilience climatique
Le sommet des investisseurs au SIBCA 2025 a dressé un état des lieux des transformations en cours dans l'immobilier. Confronté à l'urgence climatique et aux mutations de ses modèles économiques, le secteur navigue entre contraintes réglementaires et opportunités d'innovation.
JLL, partenaire de l'événement depuis quatre ans, a organisé deux tables rondes animées par Rémi Calvayrac, qui ont réuni des experts du secteur : Thierry Laquitaine (AEW), Juliette Lefébure-Wirth (OID), Ghislain Tezenas du Montcel (Invesco), Juliette Medana (JLL) et Jean-Philippe Buti (JLL).
Résistances politiques, persistance économique
Dans un contexte international marqué par le retrait américain de l'accord de Paris, une constance se dessine sur le terrain. "Nos clients ne modifient pas leurs engagements de long terme", témoigne Juliette Medana, directrice conseil en immobilier durable EMEA chez JLL. "Au contraire, cette année nous avons accompagné de nombreux investisseurs et occupants dans leurs efforts structurels de développement durable."
Cette résilience des stratégies privées face aux turbulences politiques révèle une certaine maturité du secteur. Tandis que six grandes banques américaines désertent le Net Zero Banking Alliance, vingt-quatre États américains réaffirment leur adhésion aux objectifs climatiques. L'Europe maintient son cap : le carbone demeure sa priorité absolue.
L'équation de la rareté
Une arithmétique préoccupante se dessine : d'ici 2030, l'immobilier européen accusera un déficit de 70% d'actifs bas carbone face aux exigences des occupants. Cette pénurie, alimentée par l'accélération des engagements SBTI - multipliés par quatre en quelques années -, redessine déjà les rapports de force sur le marché.
La géographie de cette demande révèle l'avance européenne : 7,6 millions de mètres carrés d'exigences d'occupants contre 4,2 millions en Asie-Pacifique et 3,9 millions en Amérique. Cette demande européenne témoigne d'un continent qui a transformé ses contraintes réglementaires en dynamique de marché.
L'intelligence artificielle, outil de la décarbonation
Face à cette complexification croissante, l'innovation technologique devient un levier indispensable. JLL déploie plusieurs outils d'intelligence artificielle qui transforment l'approche traditionnelle :
Le Green Lease Agent facilite l'intégration du développement durable dans les transactions immobilières en facilitant la constitution de l'annexe environnementale du bail. Le Legislation Radar offre une visibilité sur les réglementations mondiales et la conformité des actifs. Le Carbon Pathfinder – Audit AI permet quant à lui la collecte et l'analyse de données multisources pour définir des indicateurs de performance et une feuille de route de décarbonation avec les CAPEX associés.
Ces innovations traduisent une mutation : la transition environnementale ne se décrète plus, elle se programme et s'optimise.
De l'observation à l'action : une maturité nouvelle
"Nous avons passé le temps de l'observation, nous sommes désormais dans le temps de l'action." Cette phrase, entendue lors des débats, synthétise une décennie de transformation. L'Observatoire de l'Immobilier Durable en témoigne : 110 millions de mètres carrés de données collectées, soit un doublement en cinq années.
Cette accumulation révèle une évolution qualitative profonde. L'enjeu n'est plus de collecter mais d'exploiter ces données pour se benchmarker, fixer des objectifs précis et mesurer les progrès réalisés. L'enjeu majeur devient la montée en compétence des équipes d'investissement pour qu'elles puissent correctement positionner leurs actifs sur le marché.
L'épineuse question de la valorisation
L'intégration économique des investissements environnementaux reste problématique. "Nous peinons à percevoir les investissements ESG autrement que comme un coût, car nous ne parvenons pas à isoler les CAPEX ESG des autres CAPEX", reconnaissent les professionnels.
Cette approche évolue progressivement vers une logique de coût marginal. Plutôt que d'imputer l'intégralité des coûts à la décarbonation, les gestionnaires calculent désormais le surcoût lié à l'amélioration de performance lors du renouvellement naturel des équipements. Une approche qui transforme la contrainte environnementale en opportunité d'optimisation.
Des raisons d'espérer malgré les défis
La montée en compétence généralisée du secteur promet une baisse des coûts de rénovation. Reste un défi majeur : "La qualité de construction n'est souvent pas au rendez-vous", soulignant la nécessité d'améliorer les standards de mise en œuvre.
L'enjeu de décarbonation des sources d'énergie devient central, notamment avec l'attractivité croissante des énergies de qualité pour alimenter les data centers. Néanmoins, les économies d'énergie réalisées ne compensent pas toujours l'augmentation des besoins, soulevant la question cruciale de la répartition des coûts entre locataires, investisseurs et État.
Du green premium au brown discount
"Le green premium, nous ne l'avons jamais vu. Le brown discount, nous le voyons arriver." Cette observation de Thierry Laquitaine illustre une évolution fondamentale. Le marché abandonne l'espoir d'une survalorisation automatique des actifs verts pour s'inquiéter du coût de l'inaction.
Cette évolution reflète une maturité croissante : les critères environnementaux cessent d'être des différenciateurs premium pour devenir des prérequis incontournables. "Il n'est plus question de valeur verte, mais plutôt de mesurer la valeur de l'inaction."
Résilience climatique : l'urgence méthodologique
En l'espace d'une année, le risque climatique a bondi du hors classement au top 3 des priorités sectorielles. Cette ascension fulgurante pose des questions méthodologiques cruciales : quels modèles climatiques choisir ? Comment privilégier des modèles prévisionnels plutôt que basés sur le passé ?
L'urgence consiste à comprendre la vulnérabilité de son portefeuille, malgré des problèmes de méthodologie persistants et un manque d'incitation réglementaire. L'OID développe à ce titre de nouveaux outils pour permettre aux gestionnaires de prioriser leurs actions.
Les chiffres européens interpellent : 534 milliards d'euros d'immobilier commercial se situent dans les dix villes les plus vulnérables d'Europe d'un point de vue climatique. Face à cette réalité, les investisseurs "doivent être pragmatiques et tenir compte du réel, indépendamment des réglementations. Ils doivent être dans l'anticipation du risque."
Site occupé : l'art de la transformation en douceur
La seconde table ronde a révélé l'ampleur du défi des rénovations en site occupé. Une réalité préoccupante : seuls 20% du parc seraient conformes au Décret BACS.
Jean-Philippe Buti identifie quatre facteurs clés de réussite : une connaissance précise de l'existant, une communication et un engagement constants des locataires, une gouvernance adaptée, et des solutions techniques qui anticipent les futurs usages et la flexibilité.
L'exploitation se révèle également un levier complémentaire précieux. Au-delà des investissements lourds, elle permet 15 à 20% d'économies d'énergie par des ajustements opérationnels. Cette approche offre des gains rapides et mesurables.
L'impératif de l'orchestration collective
"Les solutions, nous les connaissons, mais subsistent des problèmes de processus et opérationnels : comment faire travailler tout le monde ensemble ?" Cette interrogation, revenue comme un leitmotiv, souligne le principal défi à venir.
La question du portage politique en France reste ouverte, mais la dynamique sectorielle s'accélère. L'adaptation des processus et l'adoption d'une réflexion de long terme deviennent impératives pour naviguer dans cette transformation où les critères environnementaux redéfinissent les fondamentaux du marché immobilier.
Une métamorphose en marche
JLL, partenaire de l'événement depuis quatre ans, a organisé deux tables rondes animées par Rémi Calvayrac, qui ont réuni des experts du secteur : Thierry Laquitaine (AEW), Juliette Lefébure-Wirth (OID), Ghislain Tezenas du Montcel (Invesco), Juliette Medana (JLL) et Jean-Philippe Buti (JLL).
Dans cette recomposition accélérée, les acteurs qui sauront maîtriser cette nouvelle donne - opérationnelle et financière - prendront l'avantage sur un marché en pleine transformation. L'immobilier découvre que sa pérennité dépend désormais de sa capacité d'adaptation aux enjeux climatiques.